UN POCHE POUR LA PLAGE : «LA DAME DE BERLIN», «NOCES DE NEIGE», «LES ORAGEUSES»…

La Dame de Berlin de Franck et Vautrin, le Livre de Poche, 704 pages, 9,40 €

Si D’Artagnan avait vécu au XXe siècle, son épée serait une canne, sa cape un Leica et il s’appellerait Blèmia Borowicz. Il traînerait sa bohème à Montparnasse, en juif hongrois déraciné, prêt à témoigner des fureurs de l’époque. Il y a du Robert Capa dans le héros créé en 1987 par Dan Franck et Jean Vautrin, et qui, depuis, arpente l’Europe des années 1930 (et même un peu plus) son appareil photo à la main. Dans la Dame de Berlin, le premier tome de cette saga sur les chapeaux de roues, c’est le cliché compromettant d’un petit moustachu irascible, prise par hasard, qui va l’entraîner dans un tourbillon aux côtés de sa cousine, la séduisante actrice Maryika Vremler.

Ecrit comme un feuilleton, avec des chapitres de quelques pages à peine, le livre fond à une vitesse folle, virevolte entre personnages fictifs et réels et ne perd jamais l’amour de vue très longtemps. Sans rien sacrifier pourtant ni à son message politique ni à la rigueur historique. Dans le tome 2, le Temps des cerises, Boro se frottera à la Cagoule dans le Paris du Front populaire et dans le troisième, les Noces de Guernica, pour lequel on avoue une tendresse toute particulière, c’est la guerre d’Espagne qui en veut à son Leica et à son goût de l’aventure.

Après huit tomes et la mort de Jean Vautrin, Dan Franck a failli arrêter. Mais en 2022, un neuvième tome a ressuscité le héros après treize ans d’absence. On l’a retrouvé comme un vieil ami. Toujours aussi désinvolte, toujours aussi séduisant. Michel Becquembois

Les Chroniques du docteur Vertical d’Emmanuel Cauchy, Glénat, 848 pp., 30 € (le coffret de quatre volumes)

Aline a finalement été sortie de sa crevasse. Sortie oui, mais sauvée ? Sa température affiche 13,7°C ! Sur l’arête Midi Plan, un skieur pressé a, lui, chuté et dévalé l’à-pic. Coup de bol, il s’est écrabouillé sur un sérac… Encore faut-il le récupérer. Un homme est victime d’un infarctus à près de 3 000 mètres d’altitude, l’hélico arrivera-t-il à l’évacuer alors que la tempête se lève ? Pendant ce temps, dans la vallée, à l’hôpital de Chamonix, la police poursuit son enquête sur le meurtre d’une jeune Suédoise et un vol de GHB, la drogue des violeurs…

Bienvenue dans l’univers survitaminé d’Emmanuel Cauchy, alias docteur Vertical. Ce médecin urgentiste a monté en 1996 le département de médecine de montagne de l’hôpital de Chamonix et a été l’un des premiers à embarquer avec les sauveteurs à bord d’un hélicoptère. De ses expériences (réunies précédemment en chroniques chez Glénat), il a tiré une série de petits polars. Frisson fatal, Morte et blanche, Silence glacial, Urgence vitale… racontent donc au plus près la vie des secouristes en montagne. A ces histoires de sauvetages et d’accidents dignes d’Urgences ou de Dr House, l’auteur a ajouté une trame de fiction courant sur les quatre volumes, mêlant contrebande, assassinats, vengeance et amour. On ne décroche pas un instant. A glisser impérativement dans une poche du sac pour dévorer le soir au refuge. Fabrice Drouzy

Noces de neige de Gaëlle Josse, 123 pp., J’ai lu, 6,80 €

Il n’y a ni noces ni neige dans le roman de Gaëlle Josse. Mais deux histoires qui s’entrecroisent, comme se croisent les rails des voies ferrées, donnant au livre un doux roulis. Il y a Anna, adolescente solitaire, qui en mars 1881 s’apprête à retourner en Russie après six mois à se morfondre sous les dorures des palais de la Riviera où l’aristocratie vient s’étourdir tous les hivers dans les fêtes, le paraître et les ragots. Le train du retour, qui relie Nice à Moscou en cinq jours, emporte la famille du grand-duc, les domestiques, les secrets de famille et les amours clandestines. Certains déchirés à l’idée de quitter la Méditerranée et la liberté, d’autres impatients de retrouver les grands espaces, les chevaux et les soirées à l’opéra. «Etrange sensation, celle de se réveiller le matin, quelque part, sans savoir où.»

Il y a aussi Irina, jeune serveuse russe malmenée par la vie, qui, en mars 2012, quitte tout pour retrouver Enzo, son amour français inconnu rencontré via un site internet. Depuis des mois, il lui écrit chaque jour, lui envoie des photos de l’éclat du ciel et de la mer, des palmiers, la supplie de le rejoindre. Il lui a même payé son billet de train dans le nouveau Moscou-Nice, qui vient de rouvrir pour resserrer les liens franco-russes. «Tout le jour, Irina s’interroge. Elle ne l’avait pas imaginé comme ça, ce voyage, pas du tout.»

Irina a mis toute sa vie dans une énorme valise rouge à roulettes. Les malles d’Anna suivent dans un train spécial. La vie de chacune va basculer au fil du voyage. A lire dans le train, bien sûr. Laurence Defranoux

Un pied au paradis de Ron Rash, éditions Folio. 320 pp., 8,30 €

Premier roman de l’Américain Ron Rash, Un pied au paradis donne la parole à toute une communauté de Caroline du Sud des années 50 autour d’une disparition, celle de Holland Winchester, brisé par la guerre de Corée et revenu chez sa mère la tête en miettes. On entend tour à tour la voix de cette mère, sans illusion devant ce garçon qui ne se remettra jamais, mais aussi le point de vue du shérif qui sait que la vallée doit disparaître après la construction d’un barrage. Sans oublier le fermier voisin, fou de jalousie. Ron Rash leur laisse la parole pour exprimer la fin d’un monde, d’une ancienne terre cherokee bientôt rayée de la carte, d’un héritage rural qu’on piétine.

Certes, il y a un crime et une enquête, mais l’essentiel est ailleurs. Il est ancré dans une nature rugueuse que les habitants ne veulent pas quitter. Il s’impose dans les phrases de chaque personnage qui vit une tragédie. Ici, tout semble ingrat, les terres brûlées comme les espoirs engloutis, mais la terre sauvage est d’une telle beauté que l’auteur nous demande de nous attarder encore un peu.

Ron Rash écrira ensuite d’autres romans magnifiques comme le Monde à l’endroit ou Une terre d’ombre, mais ce premier roman noir paru en France pour la première fois en 2009 est d’une telle élégance poétique qu’il vous fait chavirer d’émotion. Christine Ferniot

Cetaganda, tome 7 de la saga Vorkosigan, de Lois McMaster Bujold, J’ai Lu SF, ‎ 352 pp., 7,20 €

Les amateurs de science-fiction qui ne connaîtraient pas la saga Vorkosigan, formidable space opera de l’écrivaine américaine Lois McMaster Bujold peuvent cesser ici leur lecture et filer acheter le premier tome (Opération Cay). Pour les autres, on conseille le septième volume, Cetaganda, à nos yeux le plus réussi. Miles Vorkosigan, le héros de la série, alors jeune cadet de l’armée impériale, est envoyé en mission diplomatique sur la Cetaganda, l’ennemie jurée de Barrayar (la planète de Miles). Dès leur arrivée, il se trouve à son insu mêlé à une intrigue de palais qui aurait pour conséquence, si elle aboutissait, le déclenchement d’une nouvelle guerre entre les deux mondes.

Cetaganda concentre tout le talent de Lois McMaster Bujold. A une intrigue digne des meilleurs polars, l’autrice ajoute la description d’une société technologique et raffinée férue de génétique où les femmes ont le beau rôle ; de l’humour en pagaille avec son héros atypique (Miles compense son 1,50 mètre par un bagout d’enfer et une imagination sans borne) accompagné de son cousin-crétin, Ivan le bellâtre. Des personnages à la psychologie fouillée qui évolueront tout au long de la série, des mondes aux coutumes et systèmes politiques opposés (démocraties, empires, systèmes de castes, ligues, villes-états, colonies). A dévorer d’une traite avant donc de courir acheter les premiers volumes pour redémarrer la série débutant deux cents ans avant la naissance de Miles. Fabrice Drouzy

Les Orageuses de Marcia Burnier, Cambourakis poche, 144 pp., 10,50 €

Un uppercut. «Personne n’apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie des représailles bien faites, personne ne leur dit que rendre les coups peut faire fourmiller le cœur, qu’on ne tend pas l’autre joue aux violeurs, que le pardon n’a rien à voir avec la guérison.» Avec les Orageuses, Marcia Burnier saisit et ne lâche pas ses lecteurs avant d’avoir traversé avec eux le tourbillon d’une vendetta sororale.

Plus question d’être patiente. Plus question d’attendre que la police, la justice et les agresseurs retrouvent la parole. Ce roman est l’histoire d’un clan d’amies qui met le pied dans la porte et la défonce. Un gang qui décide un jour de se rendre justice pour les violences sexuelles subies. Une histoire de corps qui découvrent que les exercices de muscu n’existent pas tant pour se dessiner un booty raffermi que pour «propulser la foulée». Que leurs corps si sexualisés «servent à courir vite, à s’échapper, à fuir. […] Que les triceps ne devaient pas juste être fins et dessinés, mais qu’ils permettaient d’envoyer le poing loin, avec puissance dans le nez de quelqu’un». Est-ce un appel à violence ? Peut-être simplement un rappel que le corps des femmes aussi, peut être dangereux.

Marcia Burnier se réapproprie un féminisme de luttes, subversif et radical. A mettre dans les mains de celles et ceux que vous sentez fiévreux de colère, prêt à changer de foulée pour ne jamais plus avoir peur. Un livre qui réveille dans la tranquillité parfois assommante de l’été. A empoigner, Lucky Love à fond dans les tympans. Maud Benakcha

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